Escapade matinale.

06/09/2020

Escapade matinale et réflexions

 

Au petit matin, en ce mois de janvier 2019, je roule vers le Nord de Mons en Provence en direction de la nationale 85.

 

Le soleil vient de se lever. Le thermomètre affiche une température de moins 3 degrés Celsius. Le froid est vif et sec. Le soleil répand une lumière douce et feutrée, si typique de l’hiver. Le ciel est d’un bleu limpide. Les contreforts rocheux qui dominent le Nord du village de Mons se réchauffent au soleil levant.

 

Je viens de laisser, en quelques secondes, les paysages anthropisés de la Provence des oliviers, pour plonger dans les premiers escarpements tourmentés des Alpes. Les Gorges du Verdon sont seulement à quelques kilomètres.

La récolte des olives vient de s’achever. Les arbres portent encore sur eux le passage de la main humaine. Leurs ramures sont ébouriffés, mais souriantes d’avoir donné leurs fruits. Les oliviers affichent la sérénité d’un travail accompli, d’une nature généreuse.

Les oliviers s’effacent devant les sentinelles des portes du Nord, les sapins, qui gardent cols et montagnes. Dans le froid matinal, ils attendent, immobiles et stoïques, une hypothétique neige qui tarde à venir.

 

Aucun vent, aucune brise, aucun souffle, le plus léger soit-il, ne parcours les vals, vallées, vallons, ravins, falaises, sommets et montagnes. C’est juste époustouflant. Quelques rares fermes se sont glissées dans l’harmonie du paysage. Discrètes, elles témoignent d’une difficile présence humaine et agricole.

 

En franchissant le col de Val Ferrière, à 1200 mètres d’altitude, je croise une sableuse des services départementaux des routes. Quelques minutes plus tard je m’engage sur la N85, la Route Napoléon.

Mes pensées deviennent politiques quelques instants. C’est en juillet 1932, que la N85 est nommée « Route Napoléon », devenant la première route touristique en France. Quelques décennies plus tard, une « intelligente » réforme, hautement réfléchie dans les cercles centraux du pouvoir, a mis en place, pour des raisons d’économies, un déclassement des routes françaises. Les Nationales deviennent des départementales… La France est un pays touristique. Les touristes aiment les routes touristiques que l’on peut clairement identifier et suivre. Aujourd’hui on se promène sur la D 1085, puis D 4085, puis D 6085… une superbe simplification ! Les touristes cherchent la « Route Napoléon ». Il en est ainsi des réformes dans notre pays, parfois inutiles, souvent couteuses et dans ce cas contre-productives…

 

Anyway comme l’on dit en Californie ! Le plaisir de rouler, de glisser sur le large ruban bitumineux, aux courbes larges, amples, généreuses, presque galbées, reste intact. Le paysage qui s’offre à moi est une carte postale en continu.

 

Les plaines, montagnes et plateaux traversés, en quelques kilomètres, sont caractéristiques d’une France rurale. L’espace pénétré, pourtant partagé entre trois départements, le Var, les Alpes Maritimes et les Alpes de Haute Provence, semble n’appartenir qu’à lui même.

Les divisions départementales issues de la Révolution Française, semblent ici, impuissantes à délimiter les espaces naturels et humains. Pourtant en franchissant le Col de Val Ferrière, je passe la frontière du Var et des Alpes Maritimes. Je passe de Mons, tourné vers la mer, dominant la Côte d’Azur et surveillant au loin la Corse, à une vaste plaine alpine, agricole, accrochée aux prémices des Alpes. C’est ce caractère montagnard qui vous saisit et s’offre à vous.

 

Je m’arrête au relais de Villaute, au bord de la Route Napoléon, sur la commune voisine de Séranon.

Villaute fait partie des nombreux hameaux qui se sont agglutinés le long de la célèbre route. Espacés les uns des autres, ils sont encore aujourd’hui de véritables relais pour les touristes et les habitants locaux.

 

Le relais est un bar, tabac, presse et sandwich, pardon casse-croutes comme cela est écrit au dessus de la porte. Véritable point de contact, lieu de convivialité été comme hiver sur la route mythique. La majorité des hôtels et des restaurants ont fermé le long de la voie napoléonienne. Seules les façades témoignent encore de leur existence passée, par la présence d’une enseigne peinte sur le fronton, affichant en lettres de couleur, un immense « HOTEL » ou « RELAIS », avec parfois l’effigie ou le profil de l’empereur.

 

Je pousse la porte. Il fait bon. D’un large sourire les patrons me saluent. Je commande un café et je demande à le boire en terrasse. Espace stratégique, la terrasse me permet tout à loisir d’observer la route, les plaines et les montagnes, l’intérieur du café et les allées et venues des autochtones.

Installé confortablement, mais au froid, lorsque lesdits autochtones arrivent dans le café, je lis dans leur regard la perplexité de prendre une boisson chaude en terrasse par ce froid matinal. Quelques feuilles posées devant moi et un stylo en main témoignent que je suis en train de prendre des notes. « bonjour ! Vous êtes journaliste ? touriste ? Un original ou un fada de la côte » semble penser chaque nouvelle ou nouvel arrivant.

 

Employés municipaux, artisans, commerçants, agriculteurs et retraités défilent, se saluent et échangent les nouvelles locales. Je suis le seul « estranger » de la commune voisine. Lorsque j’entre de nouveau à l’intérieur du relais pour commander un café, les conversations s’estompent pour laisser la place à des généralités.

Je m’invite dans la discussion. J’aborde la météo, les touristes, les gilets jaunes… Je n’obtiens que des demi-réponses, des phrases écourtées ou des sourires et des rires. On m’affirme qu’ici aucun rond-point n’a été bloqué par des gilets jaunes. « On n’est pas à Paris, ici ! ». Pourtant, un rapide coup d’oeil en direction du parking m’indique que sur la dizaine de voitures garées, sept affichent des gilets jaunes sur le tableau de bord…

 

Des gendarmes entrent dans le café. Ils se frottent les mains et leurs visages sont marqués par le froid. Ils devaient effectuer des contrôles sur les routes, tôt depuis le matin. Ils serrent quelques mains, se mêlent aux autochtones et commandent des cafés.

Je sors sur la terrasse avec mon café. Les conversations reprennent dans le café. Je suis dehors, j’écris. Je sens que des regards se sont posés sur moi. De nouveaux clients arrivent, d’autres repartent. L’un des gendarmes sort. Il allume une cigarette et m’adresse la parole, parlant du climat et me demandant si je n’ai pas froid en buvant mon café dehors. Je sens qu’il veut engager la conversation. Il me demande si je suis journaliste. Je lui réponds que non, que je suis professeur d’histoire et géographie et que j’habite la commune voisine de Mons. Je comprends qu’il est rassuré. Nous poursuivons la conversation sur des généralités entre les deux communes.

 

Un jeune est venu se joindre à nous. Il est berger. Il me dit qu’il connaît des bergers à Mons. Je lui donne deux prénoms et il acquiesce. Le gendarme nous salue et s’en va avec ses collègues.

Je pose des questions au berger sur son activité. Il élève des moutons pour la viande, mais il ne vend pas aux particuliers. C’est trop compliqué avec les lois européennes de faire abattre un mouton. Nous évoquons les loups, qui désormais, sont arrivés dans notre région. Prudent, il est ni pour ni contre. C’est comme ça, dit-il, il faut cohabiter avec eux. C’est tout. Il me souhaite une bonne journée et part. A mon tour, je décide de quitter le relais.

 

Je viens de croiser un « morceau » de France.

C’est une France un peu vieillissante, un peu hors du temps, un peu toujours la même, mais présente dans l’actualité. Elle est discrète, rassurante cette France rurale. Aïe, en pensant cela, je me dis, que l’on va me traiter de réactionnaire, populiste et autre forme de pétainisme du genre.

 

Non, simplement, j’aime cet espace et les gens que je viens de croiser. Je me souviens que j’ai grandi dans ces espaces avant de partir loin. Cette France, c’est aussi un peu moi.

 

Avant de repartir je jette un dernier coup d’oeil à la plaine qui m’environne. Le paysage est calme, comme lent. Le froid de l’hiver semble ralentir les fumées qui s’échappent des cheminées. Le bruit des voitures est assourdi et nous parvient plus lentement.

Il y a une sorte d’apaisement. Nous sommes désormais loin de la saison touristique. J’aime cela. Je regarde avec des yeux d’étrangers les montagnes dans lesquelles j’ai grandi. Je savoure ces instants de redécouverte. Les mots de territoire, espace, lieu, paysages me viennent à l’esprit, mais plus encore ceux de liens sociaux, fragiles, mais bien réels, ici.

Dans ce moment suspendu, hors du temps, une idée du bonheur me traverse. Je suis seul. J’esquisse un sourire. Je repars.

 

De nouveau, le long ruban de la route s’offre à moi. Je ressens pourtant le paradoxe d’être dans une voiture et dans un paysage grandiose à protéger.

Roulant, j’imagine Napoléon Bonaparte avec ses 1200 hommes, marchant à pas forcé au cours de la journée du 02 mars 1815. Il passera la nuit à Séranon, là, quelque part dans la vaste plaine.

Mon regard se porte sur le plus haut sommet du Var, le Mont Lachens, situé sur la commune de Mons. L’armée est y est toujours présente. Quelques antennes d’un régiment de transmission témoignent de sa présence. C’est dans ces contrées sauvages que fut installé à partir de 1970, le plus grand camp militaire d’Europe Occidentale, le Camp de Canjuers. L’histoire militaire de notre pays est donc très présente dans cet espace. L’armée est à la fois une présence familière et très lointaine.

Un autre jour, je vous raconterai mes aventures comme militaire dans cet espace…

 

J’entame la redescente par la petite route qui conduit à Mons depuis la Nationale 85. Une autre perspective s’offre à moi. Ces paysages me sont familiers et toujours nouveaux. Je m’arrête et j’observe.

Je peux lire les frontières de l’histoire, les frontières du quotidien de la vie de la communauté. Mes yeux parcourent les limites invisibles. Voilà quelques semaines, avec mes fils, nous marchions dans ces montagnes à la découverte de fabuleuses ruines, perdues dans les montagnes et dont les pans de murs se confondent avec les falaises et les rochers en cette matinée. Les guerres de religions eurent raison de cette communauté… Au nom d’un dieu, maisons, enclos, château et autres constructions furent dévastés.

Nous étions seuls dans ces immenses montagnes. Mes pensées se portent vers celles et ceux que j’aime. Nous marchions en harmonie avec la nature, heureux de partager, ensemble, en famille, ces moments privilégiés.

Je laisse glisser la voiture, écoutant Asleep from Day des Chemical Brother.

Je m’interroge sur la notion de développement. Faut-il développer cet espace ? Que signifie la croissance pour un petit village comme Mons ? Augmenter le nombre de touristes ? Croissance, innovation, activités, commerces, investissements ? Est-ce la bonne solution ? Tous ces mots s’entrechoquent dans ma tête.

D’un coup j’imagine deux cents voitures garées sur le Mont Lachens, des buvettes, des restos, des activités, du bruit, des déchets… Je ferme les yeux ! C’est un cauchemar. Suis-je égoïste en refusant que des personnes viennent se promener en ces lieux ? Comment partager ces espaces tout en les respectant et les protégeant ?

 

Voir, regarder et ne pas toucher. Passer dans les montagnes, mais ne pas s’arrêter, ne pas s’installer. Goûter juste au plaisir des paysages sans vouloir dominer, transformer ou posséder. Ne pas vouloir apprivoiser la nature. Juste partager sa beauté, son calme, sa sérénité.

 

J’ai parcouru 39 km d’aventure, ma journée de travail commence.

 

Gilles PORTAZ

Un début de matinée à Mons en Provence.

  Guydel          10 janvier 2021 - 17:00   
Une belle escapade matinale sur une route que je connais bien pour être allé souvent jusqu'à La Batie et Peyroules, où mon épouse avait de la famille ... et même jusqu'à Castellane et le Lac de Castillon pour le plaisir ! Salutations amicales !
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